mercredi 3 décembre 2008
"La Fleur de Dédale" Oeuvre croisée Butor - Pouperon
Oeuvre de Patrice Pouperon contenant un ouvrage manuscrit et imprimé de Michel Butor La Fleur de Dédale rehaussé de travaux de l’artiste, aux Editions La Garonne, 2006. Dispositif en bois rectangulaire peint (29 x 37 x 47 cm) avec un tiroir contenant une peinture spécifique de l’artiste sur toile et le module d’impression du labyrinthe en bronze. Collection Ville de Chartres, Médiathèque l’Apostrophe.
Un mastaba fleuri d’illusions
Si l’œuvre créée par Patrice Pouperon évoque l’image d’un mastaba, ce dernier prend place chronologiquement parmi les sépultures égyptiennes annonçant les Pyramides. Dimension funéraire apparente mais ce qui nous intéresse ici ne relève pas du funèbre mais du plastique. S’il se trouve fleuri, nous nous retrouvons dans une problématique de tombe chrétienne. Bref dans un impossible historique où cette construction rectangulaire aux murs de briques ou de pierres taillés glisse vers sa dénomination poétique. Avec Michel Butor, s’approcher des Pyramides c’est s’aventurer sur une terre féconde, le lieu des étrangetés créatrices où le singe du dieu Thot veille sur le scribe Nebmertouf qui lui tire son Portrait, quelque part dans une salle du Louvre. Le lecteur-spectateur finira par se perdre dans ce labyrinthe, autre référence récurrente de l’auteur où le Minotaure-Picasso peint des filles et des garçons avant de s’en repaître.Art et sexualité.
Donc déflorer en un glissement sémantique. Mais dans ce dédale, qu’en est-il des fleurs ? Ou plutôt de la Fleur qui y pousse. Dédale, l’entremetteur à quatre pattes, remplit ses fonctions d’architecte du labyrinthe pour cacher le Minotaure tout en donnant à Ariane la solution pour en sortir. Qui la transmet à Thésée. Icare le paye de sa vie en volant trop haut ― si seulement il avait été un milan ― et l’Architecte demeure inconsolable. Sous sa forme de nom commun, le dédale représente des entrelacs de chemins donc un labyrinthe. Chartres et le chemin symbolique vers la Jérusalem céleste. En son centre s’épanouit une Fleur éternelle.
Alors Patrice Pouperon réalisateur d’un mastaba métaphorique en bois ? La réflexion part à la fois sur la conception générale du dispositif qui ressemble également à un meuble par l’adjonction d’un tiroir disposant d’une petite poignée. Un X, constitué d’une plaque de cuivre guilloché pour l’une des branches, l’autre constituée par le titre en plomb du livre de Butor saisi en capitales « LA FLEUR DE DEDALE » qui s’insère ainsi physiquement dans cette sculpture. L’ouvrage, de par sa présence matérielle devient donc un élément incontournable de l’œuvre globale. Le spectateur se trouve en attente, suspendu par son regard. Aura-t-il le droit d’ouvrir ou d’entrouvrir tout ou partie des mécanismes de cette menuiserie artistique ? Le plaisir des yeux se combine avec la frustration devant l’interdiction muséale de toucher. Arithmétique sévère de la monstration.
Le volume rectangulaire est recouvert, sur ses cinq faces visibles, la sixième servant de support, d’écritures manuscrites empruntées au texte butorien (on y distingue d’ailleurs le nom de Thésée), de traits de construction avec la mention des dimensions et surtout de taches colorées peintes de façon rapide et nerveuse. L’ensemble donne l’impression d’un inachevé sériel optant pour un fort appel visuel grâce à cette composition apparaissant comme prestement jetée avec la nervosité des tracés, l’explosion de formes abstraites, ou la stylisation potentielle d’un bouquet coloré. Cette urgence des interactionsentre écritures, mentions techniques, traits hachurés et peintures concourt à une signalétique forte proche en cela des techniques mixtes utilisées régulièrement par l’artiste, comme dans sa série du Mont-Ventoux mais ici, sur et avec, un objet en trois dimensions.
Le tiroir, presque lacanien car secret bien qu’évident, contient une petite peinture de l’artiste suivant les procédés énoncés auparavant. On y distingue cependant une fleur, assez floue, dont la dénomination manuscrite se trouve reprise en capitales (LA FLEUR) et en cursives (La fleur de Dédale). Lettre volée ou Origine du monde. Ecritures artistiques tremblées annonçant la matière même du livre. Posé dessous, inaccessible comme le sarcophage d’un mastaba, la présence du module d’impression du labyrinthe en bronze, réplique exacte avec changement d’échelle de celui de la cathédrale de Chartres. Une présence physique de ce qui se trouvera imprimé dans le livre qui participe du principe du caché-montré et relève aussi de la problématique du reliquaire. Fleuri, forcément fleuri.
Contenant et contenu s’épaulent dans l’ouvrage, partie du tout mais ensemble de papier requérrant le génie créateur de Michel Butor et de Patrice Pouperon en une œuvre croisée désormais qualifiable de classique. Le texte de Butor au titre éponyme, alterne écriture manuscrite et impression optant pour une division en cinq paragraphes, ponctué à chaque fois d’une impression en couleurs du labyrinthe portant en son centre la fleur précitée (dans l’ordre bleu, vert, jaune, rouge, noir) auquel répond à chaque fois un disque énergiquement coloré manuellement (rouge, jaune, bleu, vert, noir). On notera l’indirecte référence rimbaldienne aux Voyelles, sachant que le jaune remplace ici le blanc. Des zones hachurées ponctuent certaines pages tandis que des frises colorées encadrent les pages du livre en des réminiscences d’enluminures.
Michel Butor a apporté sa vision très personnelle du labyrinthe, déclinée depuis des années, en inventant un itinéraire dans un musée imaginaire fabuleux. Se servant de la réalité patrimoniale ― au centre du labyrinthe de Chartres se trouvait une plaque de métal décrivant le combat de Thésée et du Minotaure ― il nous transporte dans une Crète mythologique, elle-même narrée par la Beauce, où les collisions temporelles et poétiques créent un sens nouveau à chaque détour. Chartres rencontrant Bleston en quelque sorte. Matière de rêves, apparitions, modifications… ponctuent son poème où le phrasé permet des allers-retours proches de la structure labyrinthique. Pour le lecteur il ne reste plus qu’à psalmodier ces nouvelles litanies d’accompagnement en parcourant sans cesse son chemin intérieur.
Et le simple acte de glisser le Livre hors de son compartiment permettra à chacune et chacun de renouer avec le fil des Chevaliers du Dédale.
Christian Skimao
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